Dans la cave de la maison, du feu

par Raeck Jeu 10 Avr - 23:15

Raeck en son entièreté, corps et âme, expérimenta la douleur. Tout en lui brûlait, son corps était parcouru de milliers de spasmes, à la fois minuscules mais puissants, comme si chaque particule de son corps se déplaçait sur quelques mètres pour ensuite revenir à leur position initiale, comme si on lui versait de l'étain en fusion partout sur le corps à la fois, comme si la substance de son âme rejetait son corps.

A son réveil, il s'était installé et avait souhaité un léger bonsoir à Dragonette ici présente. De sa voix monotone, elle le lui renvoya. Pensant encore une fois à l'Enutrof de Tellazard, Raeck se racontait à lui-même, comme ses parents lui contaient autrefois les légendes de ce monde, ses aventures passées avec. Tous deux étaient dans le Clan, mais ne s'étaient pas encore vu. Chacun essayait de garder ses distances avec l'autre. Au vu de leur histoire, pour leur sécurité, il fallait qu'ils ne se fréquentent plus. Raeck ne savait même pas si l'Enutrof avait encore changé de corps. Mais il savait que celui qui l'avait hébergé la dernière fois qu'ils étaient entrés en contact portait encore les ailes en bois.

C'est en réfléchissant à l'éventualité que l'Enutrof avait encore changé de corps que cette douleur se réveilla.
Plongé dans une torpeur sombre et noire, Raeck s'était ployé sur lui-même, perdant lien avec le monde réel, sentant son âme aspirer au fond d'un gouffre sinueux mais vaste. Elle était suivie par une ombre.

Ombre suivait chaque virage aérien qu'effectuait Raeck.
Ce dernier savait qu'il reviendrait un jour.
Il l'avait déjà
rencontré il y a quelques siècles. Celui-ci l'avait
harcelé, et Raeck savait pourquoi il le rendait fou
rendu fou.

"Voyons, ne fais pas l'enfant Raeck, dit Ombre, d'un écho qui résonnait contre les murs de son âme.
- Arrête ça, pas maintenant.
- Oh, tu ne trouves pas que ça fait longtemps que tu m'exploites ?
- Assez !" répondait Raeck.

Raeck avait arrêté de fuir, et tandis que Ombre l'enveloppa de sa brume, de son esprit ...

"Ca n'est plus ...
- RENDS-MOI MON CORPS RAECK, RENDS-LE MOI !!" hurla, explosa Ombre.

A cette détonation, Ombre revit. Son âme prit de plus en plus de place, occupant de plus en plus l'espace, englobant Raeck, motivé par cette colère. Il combla maintenant toute la dimension de l'esprit de Raeck et se raccrocha enfin à la réalité. La brume de son âme s'étendait encore, devenant si immense que la petite flammèche que représentait celle de Raeck restait insignifiante, ne luttant même pas à ce qu'Ombre reprenne espoir. L'esprit vaporeux d'Ombre s'immisça entre les pores de l'air, sachant qu'il ne pourrait s'étendre plus. Car dans la dimension de Raeck, l'espace était infini. Il devait la dépasser, la surpasser.
Et là, Ombre vit à travers les yeux du corps de Raeck, la cave de la maison Sériane. A travers son propre corps.

Ombre ne parlait pas dans la cave. Il essuya d'un revers de manche une petite goutte qui perlait au coin des lèvres de Raeck. C'était donc ça ... Il n'aurait pas dû boire cette potion, elle avait permis à Ombre de surpasser les limites de l'esprit de Raeck. Changer de dimension.
Le corps d'Ombre paraissait mieux. Pour n'importe quel observateur, c'était le même: Raeck, après toute cette douleur physique, avait ingurgité son antidote, et allait mieux. Mais c'était un transfert d'âme qui avait eu lieu là, dans la cave de la maison Sériane, un endroit peu magique par rapport à la vie qui règne dans le monde.

Ombre avait fait tout ça, et il jubilait intérieurement. Communiquer avec le monde extérieur ne lui importait peu. Tous ceux qu'ils avaient connu étaient morts au combat ou de vieillesse, son âme ayant été enfermé il y a quelques centaines d'années. Même le plus vieux des Xelor ne s'en rappellerait pas.
Pas besoin de communiquer pour demander à manger à un commerçant, il avait une source de nourriture bien plus inépuisable à sa portée, elle était enfouie au plus profond de la dimension de son esprit. La flamme tremblotante et tourmentée de l'esprit de Raeck.

Il devait sacrifier maintenant une partie de son corps. Raeck l'avait contrôlé depuis tellement longtemps qu'il se sentait souillé de reprendre ce corps. Ce corps avec lequel il avait accompli tant de choses. Ce corps et cet esprit qui aimèrent l'Enutrof de Tellazard.
Mais c'était le sien, c'était son corps originel. Même s'il avait honte, la sensation d'occuper un corps, si sale soit-il, lui paraissait jouissive. Mais pour le symbole, il en désactiverait une fonction.

L'Osamodas pâle tira une hâche de son fourreau. Apparemment, Raeck gardait la forme avec ce corps. Ma foi, il ne coupait que quelques arbres et ne tuait que quelques bouftous, mais c'était déjà ça. Son âme était beaucoup trop faible pour exploiter à fond les possibilités de mon corps. Celui qui a combattu tant de guerriers. Celui qui arracha tant de reliques à tant de légendes. Celui qui s'était rapproché le plus possible du pouvoir divin. Celui qui avait tout perdu à cause de Raeck. Raeck. Raeck.
Tu m'as fait perdre 2000 années de ma vie, de mes espoirs ... 5 oeufs de dragon, tu m'as aussi fait perdre 5 oeufs de dragon. Sans toi, j'aurais obtenu le sixième et tu n'aurais jamais pu espérer réintégrer mon corps.
Et d'ailleurs, pourquoi as-tu voulu mon corps ? QUE T'AI-JE DONC FAIT ?
Je ne te connaissais pas mais tu me connaissais.

Ombre prit fermement la hâche dans sa main droite et examina le fil de sa hâche. Tant qu'il avait une main, il pourrait continuer ses rites. Adorer Rushu. Reconquérir ses charmes. Récupérer ses 5 Dofus.
Il tourna lentement le regard vers sa main gauche, puis la posa lentement à plat, sur le mur en face de lui, doigts écartés. Il se décida à la couper, au niveau du poignet. Même le plus puissant des rites d'Eniripsa ne pourrait reconstituer ce membre. Ombre le savait, et cachait en lui-même une petite once d'amertume: c'était tout de même une partie de son corps qu'il allait détruire, par sa volonté.

Ombre abattit d'un coup franc et net la tranche de la hâche sur l'articulation de son poignet, et ses os, sa chair, son sang se scinda en deux au passage de la hâche, une partie restant du côté du corps d'Ombre, et l'autre résidant dans la main gisante au sol. Une main encore palpitante, couleur pâle.

Tandis qu'il jetait un regard vers ce membre, Ombre pensa à la tourmente de Raeck, enfermé au plus profond de son âme, de sa dimension. En y pensant, Ombre sourit et disparut, petit à petit

"Je reviendrai"
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Lorsque Ombre eut totalement disparu, la main gisante se colorait petit à petit en noir, un noir d'ébène. Une fois que celle-ci trouva la couleur de l'infini qui s'étendait au-delà des étoiles, elle se retourna lentement, flottant dans les airs, puis émit une silencieuse fumée, une brume grisâtre qui se dispersait dans toute la cave. Le flux se diffusa quelques minutes, pour stagner en-dessous du plafond de la cave, puis la main arrêta de diffuser cette fumée. Lorsqu'elle émit sa dernière bouffée, elle tomba au sol ...
... Tandis que toute la fumée se condensa à un mètre au-dessus de la main, formant petit à petit une lettre ... Puis une deuxième ... Elle formait un mot, oui ...
La formation des mots se fit de moins en moins lentement, comme si la fumée s'habitua et apprit à former des mots petit à petit. Puis, lorsqu'elle eut fini de se condenser, la Brume se transforma en feu. Entre lettres de feu

Dans les airs, il y a écrit:Je suis Raeck. Vous m'avez peut-être déjà
Aperçu. Vous ne me connaissez peut-être pas mais si vous retrouvez une ...
Partie de mon corps, s'il vous plaît, remettez-la à la banque
D'Amakna. Au nom de l'Enutrof de Tellazard.
S'il vous plaît, faites-moi confiance, tous les banquiers de la banque
D'Amakna sont au courant, et sauront qu'en faire. Si vous ...

Les dernières lettres s'émiettent et tombent une à une sur le sol, laissant un lit de poussière autour de la main noire. La main de Brume