Sous la lueur des étoiles

Jamais nuit sans lune ne lui avait parue si claire.

Allongée au beau milieu d'une prairie, entourée d'herbes aux parfums énivrants, une jeune disciple d'Ecaflip, le regard tendu vers le ciel, semblait vouloir percer le secret des étoiles. Un chaton endormi, à côté d'une épée aux reflets bleutés, la lune, intimidée par cette scène aussi paisible, avait préféré ne pas troubler de sa présence cette nuit où tous les sons paraissaient ne se réduire qu'aux murmures du vent dans les herbes.

La jeune demoiselle, oscillant encore entre un corps de femme et de jeune fille, semblait figée dans un sourire silencieux. Elle avait appris par son mari l'art de profiter des plaisirs simples de la nature, et se reposer dans les herbes était devenu pour elle un moment privilégié, les soirs où ce dernier n'avait pu la rejoindre.

Le chaton soupira d'aise, arrachant un sourire à sa maîtresse, qui dirigea son regard d'ambre vers son compagnon endormi. Elle posa sa main sur le félin, le caressant doucement. Celui-ci, se réveilla soudainement au contact de la main glacée de sa maîtresse. Frissonant légèrement, il se mit tout de même à ronronner, se lovant dans les bras de celle-ci.
La réaction du jeune félin n'échappa pas à la demoiselle, une ombre fugitive passa dans son regard. Elle n'arrivait pas à se faire à ce corps qui changeait malgré elle.

Un bruit de pas sembla soudainement déchirer la nuit, intrus dans ce monde de sons feutrés. La main de la jeune Ecaflip saisit la garde de l'épée, qu'elle souleva aisemment, un sourire grave sur le visage, une lueur de défi dans ses yeux couleur d'ambre, semblant percer tous les secrets de la nuit. Elle se leva doucement, reposant son chaton par terre.

En avant Elgato !!! chuchota-t-elle, se dirigeant vers les cryptes se dessinant dans les ombres du bois tout proche.

Jamais nuit sans lune ne lui avait paru si sombre.

Se frayant un chemin parmi les hautes herbes, un jeune disciple d’eniripsa avançait prudemment, à taton, essayant de ne pas trébucher. Sa peau bleue et ses vêtements noirs le dissimulant dans les ombres du bois tout proche, Oros, tous les sens aux aguets scrutait la nuit, tenant à la main une dague à la lame ouvragée.

Bientôt se dessinèrent dans les ombres des monuments en hommage à tous ces aventuriers d’antan, dont seules les pierres gardent le souvenir.

Le silence de la nuit, étouffant, semblait imposer sa loi à toute forme de vie aux alentours. Le vent lui-même semblait se faire discret. En ces lieux,le simple fait de respirer semblait être sacrilège.

Soudain le jeune homme se figea, un contact froid contre sa jambe… froid et mouvant… Un son sec se fit entendre, le son d’os s’entrechoquant. Oros prononça tout bas un mot de frayeur, et lança une flamiche sur la forme mouvante, s’attendant au pire. Le Rib, éclairé fugitivement, se jeta sur le petit Eniripsa, mais celui-ci avait déjà prononcé le dernier mot qu’entendrait jamais le tas d’os jonchant désormais le sol du cimetière.

Le calme revint, plus inquiétant que jamais. Oros se dirigea vers l’entrée d’une des cryptes, et s’engagea dans un escalier tortueux. La pièce sur lequel celui-ci s’ouvrait semblait éclairée d’une lueur vacillante, une torche accrochée au mur.

Le jeune homme tendit l’oreille, mais un silence toujours plus pesant l’encouragea à avancer. Les dernières marches lui apparurent, une odeur métallique le prit à la gorge, une odeur de sang. La pièce éclairée de nombreuses torches, contenait de nombreuses tombes en pierre, toutes éventrées. Le sol était recouvert de sang, un sang clair, rouge vif, dans lequel se reflétait la lueur des torches, baignant toute la pièce d’une lueur rouge sombre.

Oros réprima un frisson, et posa un pied dans le sang, s’enfonçant dans le liquide épais jusqu’à la cheville. La pièce semblait avoir connu de nombreux combats, dont un très récent. Une pierre tomba dans le liquide épais, attirant son attention. Au centre de la pièce gisait un corps inerte, reposant dans le sang. Un jeune chaton était endormi sur le ventre de ce qui semblait être une jeune disciple d’Ecaflip, tenant une épée bleutée recouverte de sang.

Oros s’approcha lentement du corps. Le chaton se réveilla, s’étira longuement, et regarda l’eniripsa. Prenant son élan, il se jeta sur une pierre tombale usée, l’escalada avec facilité et poussa un miaulement satisfait. Le jeune homme rejoint le chaton et s’assit à côté de lui, le caressant tout en regardant le corps de sa sœur baignant dans le sang.

Il n’aimait pas cela, ce sentiment d’impuissance, cette frustration qu’il vivait à chaque fois et qui le meurtrissait toujours plus.

La jeune Ecaflip, allongée sur le dos, semblait dormir d’un repos éternel, son doux visage marqué d’une paix que seule la mort peut apporter. Son corps, totalement immobile, semblait figé ainsi pour l’eternité, portant un sourire candide, les morts peuvent-ils rêver?

La poitrine de la jeune disciple d’Ecaflip, jusqu’alors immobile, se souleva légèrement. Dans un soupir, la demoiselle ouvrit les yeux, ses grand yeux ambrés, avides de découvrir les trésors cachés de ce monde. Se relevant légèrement, la belle se retourna lentement, s’immobilisant à la vue de son reflet dans le sang, qu’elle scruta avec attention.





Est-ce un rêve ou est-ce la réalité?
Je contemple un autre moi, mon reflet, un reflet écarlate, dont le visage me semble si familier et si lointain. Ce sont pourtant bien mes traits que je vois là, face à moi… Mais ce n’est pas moi. Le visage, le corps que je vois, est celui d’une personne vivante. Je vois dans son regard la foi d’un dieu qui s’est ri de moi, une candeur que j’ai perdue jadis, une gentillesse que j’ai laissé derrière moi, un amour de ce monde que je hais, d’un homme que je devrais peut-être oublier pour son salut. Je lis aussi dans ce regard de l’incompréhension… Cet autre moi ne comprend pas ce qu’il se passe, ne comprend même pas qui je suis… Cet autre moi écarquille ses grands yeux ambrés, me fait un sourire… Petite idiote, je te hais, je hais ce que tu es, je hais ce que je suis. Un pâle reflet qui rêve la vie.
L’odeur du sang, enivrante, réveille ma soif. Tout le sang qui est ici est à moi? Je ne sais pas, je ne sais plus, je deviens folle. Elle m’agace à me sourire comme ça… Cette insolente croit mener le bal… Tu n’es que mon reflet, ma réussite… Tu es si belle et si exaspérante…





Est-cé qué yé rêvé? Ou est-cé la réalité?
Yé souis en facé dé moi, mais mon imagé est tristé... Tristé et sérieusé… Yé né souis pas commé ça, ça n’est pas moi, ellé mé fait peur… Pourquoi mé régardé-t-ellé commé ça? Ses yeux, ses grands yeux orangés… Ils mé fixent commé si y avais fait ouné bêtisé… Pourquoi yé mé régardé commé ça? Yé né comprend pas… Elsha cé n’est pas lé moment dé flancher !!! Souris oun peu fait oun effort !!! Quand yé racontérai ça à Sessk, il mé prendra encoré pour ouné follé… Tiens mon régard à changé… Ca sent bon ici, et y’ai faim… Son visage sé rapproché… Ellé est si bellé…

Oros retenait son souffle, regardant la scène. Sa sœur, stupéfaite face à son reflet, silencieuse, semblait découvrir son visage comme si elle ne l’avait jamais vu. De longues minutes passèrent, puis la jeune ecaflip se pencha en avant, lentement, embrassant son reflet, buvant le sang clair qui baignait la pièce.

Oros détourna le regard, attendant le moment où sa sœur aurait fini.

Une main froide se posa sur son épaule. Il se retourna et vit la jeune ecaflip la mine réjouie lui faire un grand sourire, ce sourire auquel il ne résistait jamais très longtemps. Elle avait l’air fine avec son doux pelage recouvert de sang qui commençait à sécher.


-Va falloir te laver et vite, tu vas attirer l’attention, et ça pue un peu

-Meaow? Ah oui…

- Il était là?

-Oui… mais il s’est enfui avant qué yé lé coincés… ses amis n’ont pas oue cette chancé <^o,^> meaow… ah et il faut qué yé mé dépêchés…il y a des néophytés qui vont encore attendré les maîtrés à la maison, yé vais leur tenir compagnie…

-Moui, n’y va pas dans cet état là, va y avoir une émeute, tu vas encore faire une catastrophe

-Oros !!!

Se chamaillant comme toujours, le frère et la sœur, suivi du chaton, remontèrent lentement les escaliers de la crypte. La lumière du jour filtrait entre les pierres, Oros marqua un temps d’arrêt, hésistant. Elsha continua sur sa lancée, et sortit du monument funéraire. Le lieu, baigné par le soleil, n’avait plus rien du sombre recueil de cauchemars qu’il était la veille. La jeune demoiselle tourna son visage d’enfant vers le soleil, souriante, son regard peinant à supporter la lumière.

Attendant dans un fourré avec les vêtements de sa sœur pendant que celle-ci se baignait dans une source proche, Oros ne pouvait s’empêcher de penser aux sombres heures qu’ils avaient vécu depuis l’arrivée d’Elsh… d’Elsha parmi eux.


Lui était alors un jeune disciple d’Eniripsa comme tant d‘autres, qui vivait dans les bois, dans une hutte partagée avec de nombreux frères et sœurs. En fait non, pas vraiment ses frères et sœurs, mais plutôt un groupe soudés d’enfants perdus, nombreux en ces temps troublés où les roublards étaient omniprésents, et les justiciers si rares. Ces enfants s’étaient naturellement cachés dans les bois, et avaient décidés de ne plus croire en leurs dieux, ces êtres ignobles qui avaient laissés mourir leurs parents. Il s’était tous donnés le nom d’enfants d’Oroboros, du nom de l‘idole qu‘ils avaient choisi d‘aimer, et avaient ainsi créé une nouvelle famille, parce qu’ils en avaient besoin, tout simplement. La vie dans les bois s’étaient rapidement organisée, puis un jour les Roublards disparurent, chassés par l’apparition de Bonta, toute proche. Ce jour là fut jour de fête, les enfants réintégrèrent la société qu’ils haïssaient tant, et renouèrent des liens avec leurs dieux respectifs. Ils grandirent, tous un peu, certains beaucoup, mais revenaient toujours régulièrement à la hutte dans les bois. Oros en avait fait sa maison, qu’il habitait avec une autre fille d’Oroboros, disciple d’Enutrof qui avait si longtemps materné tout ce petit monde. On l’appelait Mamie Pelleteuse, mais nul ne sût jamais son vrai nom.
Un jour elle partit en voyage, cherchant un précieux trésor, que son dieu lui avait sûrement montré en rêve, quoiqu’il en soit elle partit. Elle revint quelques jours plus tard, avec un trésor particulièrement gigotant. Un bébé, lui aussi seul au monde, tous l’acceptèrent à l’unanimité. L’Enutrof expliqua a Oros qu’elle avait trouvé l’enfant dans une taverne, dans un village déserté au sud, peuplé par des dragoeufs. Les parents avaient manifestement fui en découvrant le secret du village, abandonnant l’enfant. L’Enutrof n’avait trouvé d’eux aucune trace. L’enfant avait l’air enrhumé, comme si le climat d’ici était trop froid pour lui. Lorsqu’Oros se pencha sur les langes, il entendit de petits éternuements. Tous éclatèrent de rire, et le nourrisson fut baptisé Elsh.

Le bébé se révéla très vite être une jeune fille, marquée par le dieu Ecaflip comme étant une de ses disciples. Un tempérament de feu, elle était partout et irrésistible. Son babillage incessant en avait très vite fait la coqueluche de tous ceux qui la voyait. Sa façon de parler, très particulière, marquait les esprits. Elsh avait un accent à couper au couteau, un accent chantant, que nul n’avait jamais entendu en ces contrées. Un accent qui invitait au voyage, tout comme son regard couleur ambre. Le regard grave et sérieux d’une enfant d’une dizaine d’année, pour qui tout est terriblement sérieux et que les grands ne comprennent jamais.

- Meaow, tou n’es pas drôlé… yé veux encore youer avec les autrés !!!

- Elsh il est tard… Allez viens on rentre… et rend moi ma cape, tu vas encore l’abîmer… dit Oros pour la 43ème fois, la lassitude commençant à poindre dans sa voix.

- meowwwww… yé té parie qué ta capé né aura pas dé égratinourés !!! Et arrêté dé mé appeler Elsh, c’est noul Elsh….meaow… yé sais !!! s’exclama la jeune Ecaflip en escaladant un banc

Yé souis Elshattkitou, et yé vais bouter hors dé nos provincés tous les manants qui en veulent aux boursés des honnêtés gens!!! Commé ça les gens ils mé donneront plein dé glacés et dé bonbons !!! Meaow … Et les voleurs yé leur donnerai des souper tatanés !! Commé ça !!! Vlan, vlan et vlan et….

Oros entendit alors le bruit d’une chute dans un buisson… sa nouvelle cape allait être à recoudre… Il soupira, releva la jeune Ecaflipette qui ne se démontait pas pour autant, et la trainant à moitié derrière lui, prit la route de leur demeure.

 C’est ça Elshattkitou… tu gagneras des bonbons demain …

A compter de ce jour les enfants avec qui elle jouait ne l’appelleraient plus Elsh, mais Elshattkitou.





à suivre ...